Témoignage : "Un été 2015 caniculaire à l’Hôpital Nord"

Lettre ouverte à la Ministre des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes

8 septembre 2015

Marseille, le 11 août 2015.

Objet : Un été 2015 caniculaire à l’Hôpital Nord

Madame la Ministre,

Le département des bouches du Rhône est plus particulièrement touché par l’augmentation de la pauvreté, nombreux sont les citoyens qui n’ont d’autre choix que de venir à l’hôpital public se faire soigner. Cette situation sociétale n’épargne pas l’Hôpital Nord, qui est, rappelons le, situé sur les territoires marseillais de la pauvreté, et dont les communes sont classées parmi les plus pauvres de France. Les urgences s’engorgent, les services de soins asphyxiés, patients et personnels maltraités et face à cela, nos directions ont fait le choix, cet été encore, de fermer des lits et de diminuer l’offre de soins… De ce fait, nous nous voyons dans l’obligation de transférer des patients graves, pourtant intransportables, vers des établissements PRIVES de santé !!!

Malgré « l’écrémage » des effectifs imposé depuis plus d’un an, les agents font chaque jour preuve d’humanité et déploient toutes leurs ressources pour continuer à prendre au mieux le patient en charge. Actuellement, l’hôpital fonctionne uniquement grâce à l’implication de tous.

La période estivale est vue généralement comme une période de trêve, de calme et de repos ; dans nos hôpitaux l’été se transforme malheureusement en champs de bataille :

  • une chambre sale pour un enfant malade, des locaux insalubres pour recevoir les malades, faute d’ASH,
  • une chaise inconfortable faute de brancard, pour un patient souffrant. Un fauteuil aurait bien fait l’affaire mais il n’y en a pas…
  • un brancard dans un couloir pour une femme sur le point d’accoucher, rien d’autre à lui proposer, 1 perfusion posée sur les genoux en guise de potence…
  • un plateau repas vide pour un sans abris,
  • un drap en papier ou voire aucun pour une personne âgée malade transie de froid,
  • avoir à choisir entre refuser une prise en charge ou installer le patient malade dans un couloir, voire par terre sur un drap… faute de place,
  • utiliser son matériel personnel, pour surveiller les patients, parce que chacun(e) a un amour du travail bien fait mais que l’employeur n’a plus les budgets pour,
  • Ne pas avoir le temps d’accompagner dignement le patient dans sa douleur ni les familles dans leurs souffrances, face à la charge de travail et faute de personnel suffisant,
  • Laisser rentrer un patient à son domicile, pour raccourcir son temps d’hospitalisation, sachant pertinemment qu’il va souffrir seul, chez lui,
  • des semaines de travail de plus de 60h, des journées pouvant atteindre parfois jusqu’à 14H d’amplitude,
  • des pauses déjeuner réduites à 10mn ou voire inexistantes pour assurer la continuité des soins,
  • Mettre de coté ses besoins naturels, travailler exténué, avec ses douleurs, au dos, aux genoux, aux épaules, aux poignets, ses infections urinaires à répétition, toujours sans se plaindre,
  • Revenir travailler la peur au ventre après s’être fait insulter, s’être fait agresser parce qu’il n’y a personne pour vous remplacer et que l’équipe compte sur vous,
  • Interrompre ses repos ou ses congés parce qu’il manque ENCORE du personnel et qu’on compte sur vous, être rappelé sans arrêt sur son temps libre, culpabiliser voire être menacé en cas d’indisponibilité…
  • Etre témoin, et se croire complice, de maltraitance… et ramener toutes ses frustrations à la maison,
  • Travailler dans des ambiances délétères, les tensions au sein des équipes s’électrisant de jour en jour, car l’irrespect est la conséquence de la surcharge et de l’épuisement au travail,
  • Savoir qu’il n’existe aucune perspective d’évolution de carrière, les débouchés suite aux concours étant plus que restreints, les mutations étant refusées…
  • Accumuler les inquiétudes quant au devenir de son poste suite à la fermeture probable de services,
  • réduire l’effectif des administratifs et des techniques à peau de chagrin alors qu’ils sont un maillon principal au bon fonctionnement de notre système de soins.

Tous ces exemples sont évidemment l’expression du vécu subis par les agents. Je me devais donc de les dénoncer et les porter au grand jour.
Les directions successives n’ont de cesse de faire culpabiliser le personnel quant aux éventuelles économies qu’ils pourraient faire s’ils travaillaient à moindre coût, PLUS et sans se plaindre….

Parallèlement, la pénurie d’effectif oblige l’APHM à faire appel à une profusion d’intérimaires. C’est notamment monnaie courante sur l’Hôpital Nord. Ceci nous vaudra certainement, en fin d’année, une période de récession que nous imposera la cour des comptes, afin de réduire les dépenses exorbitantes engagées par l’APHM !!!

Je vous invite à passer une journée dans notre hôpital, pour comprendre et vivre le quotidien de chacun. Vous ne pouvez continuer à ne voir que l’équilibre financier, vous ne pouvez pas humainement laisser travailler les agents dans ces conditions, sans aucune perspective d’amélioration, vous ne pouvez pas continuer à diminuer d’avantage les moyens pour recevoir dignement nos patients.

Je reste à votre disposition pour toute information complémentaire.

Je ne doute pas que vous saurez accorder à cette situation urgente toute l’attention qu’elle mérite et vous prie de recevoir, Madame la Ministre, l’expression de mes salutations distinguées.

La Secrétaire Générale CGT - Hôpital Nord
cgtnord@ap-hm.fr