Ce que révèle l’affaire du "dérapage" de directeurs au CHSCT du CHU de Toulouse…

20 avril 2016

Source : Université Populaire Toulouse.

Nous avons interrogé Julien Terrié Secrétaire CGT du CHSCT central du CHU de Toulouse à propos de l’extrême violence qu’a subie une aide soignante du CHU ,ses réponses sont édifiantes sur les nouvelles formes de management à l’hôpital public , la réforme de l’ARS , la loi santé …. la souffrance au travail …Comme il le dit très justement ’ »il y a une différence entre un drame quand nous avions eu les moyens suffisants et un drame quand les moyens manquent. Ce dernier cas est insupportable et la pression managériale décuple le risque car l’échec est sanctionné au lieu d’être étudié pour éviter des catastrophes à venir. » A lire et à diffuser sans modération.

1-La remarque de la directrice déléguée du pôle femmes-mère-couple sur le mal être d’une aide soignante : « Si cette aide-soignante n’est pas capable de gérer son stress, elle n’a qu’à partir faire caissière à Casino. » est d’une grande brutalité, amplifiée par l’écho médiatique. Cela doit exister plus souvent qu’on ne le pense, entre autre parce que les cadres intermédiaires, comme cette personne ont totalement assimilé ce management brutal. Est-ce que les cadres responsables de services sont « dressés » pour presser, sélectionner faire partie le cas échéant des personnes qui ne participent pas à la rentabilité de l’hôpital ?

C’est effectivement d’une grande brutalité, de l’ordre de la violence de classe… Pour répondre à ta question : Aujourd’hui, le CHU embauche des anciens cadres de Danone, Carrefour, etc… la violence managériale est assumée et poussée depuis des années, les cadres qui ne veulent pas l’appliquer se retrouvent en grande difficulté. Par exemple, le CHU de Toulouse se lance, dans le cadre du plan « A.V.E.N.I.R. », dans des privatisations de fonctions « support » (brancardage, bionettoyage, stérilisation, blanchisserie, etc…) dans les secteurs qui sont en projet de privatisation totale nous voyons des agents venir se plaindre de « harcèlement », ce ne sont pas réellement des harcèlements dans le sens classique (agissement de pervers narcissique par exemple) mais des directions qui veulent faire fuir les fonctionnaires pour laisser place nette pour le privé. On se retrouve dans une configuration proche de France Télécom et nous sommes très inquiets. Il faut savoir que les directions hospitalières ne sont pas soumises au délit d’entrave au CHSCT alors, ils n’accomplissent pas leur obligation de sécurité sur la santé des agents, ils ont un boulevard pour broyer du fonctionnaire, la situation est très grave. Il y a tous les jours plus de 1000 agents en maladie au CHU de Toulouse 99,99% sont justifiés médicalement et une grande majorité sont liés aux conditions de travail. Le fait de dénigrer le stress au travail par cette directrice est révélateur de ce que pense l’institution. Nous avons envahi en intersyndicale deux conférences managériales au CHU de Toulouse : une qui s’intitulait « du lean management au lean hospital, le bienfait du management industriel dans les hôpitaux » (voir http://cgtchutoulouse.fr/2013/04/07/conference-sur-le-lean-a-lhopital-cest-du-domaine-de-lhorreur/) et une sur la « communication » faite par un conseillé en com’ de Orange et Renault… Il s’agit d’une politique cohérente. Comme nous, fonctionnaires hospitaliers, avons un salaire à vie, ils nous poussent dehors par tous les moyens, même les plus inhumains.

2-L’hôpital on le sait à travers les luttes qui y sont menées, les articles de presse …tend à devenir une entreprise gérée comme telle avec les règles en vigueur comme à Casino, justement. La santé deviendrait donc une marchandise et le personnel deviendrait une variable d’ajustement, dont on pourrait se débarrasser s’il ne « sait pas gérer son stress ». Au-delà de cet exemple comment se manifeste dans les services la transformation de l’hôpital ?

Très concrètement, le tournant a eu lieu avec la mise en place de la tarification à l’activité. C’est à dire que ne comptent que les actes remboursés pas la sécu dans l’organisation du travail. Tout ce qui relève du prendre soin (temps d’accompagnement, éducation aux soins, même la relève entre professionnel …) est considéré comme temps non productif ou « mort » et doit être combattu. Les protocoles de soins très lourds ou les hospitaliers faisant très bien leur travail sont pourchassés pour « sur-qualité ».

La course est à la productivité car il faut compenser l’augmentation de la population toulousaine et donc ses besoins futurs en « auto financement » c’est à dire sans recette supplémentaire. Toutes les expertises CHSCT que nous avons commandées sur des restructurations on montré un minimum de 30% de gains de productivité (c’est à dire 30% de gains des recettes d’activité par rapport aux « dépenses » de personnel). Souvent les ergonomes qui travaillent pour le CHSCT sont estomaqués : dans aucune entreprise privée on en demande autant, la dégradation de la qualité de soin et des conditions de travail est presque inéluctable, la chasse aux éléments considérés non-productifs ou anti-productifs (agents avec restrictions médicales, syndicalistes, bons professionnels signalant les problèmes…) subissent la pression managériale, nous avons eu d’autres fuites (mails, enregistrements) ou encore les mémoires de défense des avocats du CHU (contre les expertises CHSCT, contre les plaintes pour harcèlement ou pour discrimination syndicale) qui sont tout aussi choquantes et révélatrices que l’épisode du CHSCT de Purpan Plaine, on pourrait écrire un livre…

3-Voilà quelques années, un livre d’une médecin a été publié sur la difficulté de travailler à l’hôpital. Le personnel est en danger comme celui de Renault de Orange. Est-ce que les patients sont en danger à l’hôpital ?

Il s’agit d’Elisabeth Dess que nous connaissons bien et qui apparaît dans un reportage de Jacques Cotta sur le burn-out (voir https://youtu.be/-moDWTRNWaU). Pour l’instant les agents hospitaliers, les médecins se défoncent, prennent sur leur temps libre, leur santé pour faire fonctionner le service public de santé, supportent tant bien que mal le management mais la rupture est proche. S’il n’y a pas une vague importante d’embauches dans les hôpitaux, la facture va être payée par les patients effectivement. Comment peut-on imaginer que des soignants ou médecins ou internes épuisés, en sous effectifs ou sous pression peuvent éviter les erreurs à 100% ?

L’astuce de la direction est de dire qu’elle prendra la responsabilité en cas de problème, c’est totalement faux, les directions ont assez de conseils juridiques pour se dédouaner et faire porter le chapeau, nous demandons aux agents de se couvrir et de signaler toute situation de sous effectif ou de manque de moyens pour qu’ils ne puissent pas être mis en cause en cas de problème. La vérité est qu’un drame dans un service est un échec personnel ou d’équipe pour nous les soignants et ,dans tous les cas, nous le payons psychologiquement. L’explication de l’augmentation de la souffrance au travail alors que l’on a toujours travaillé en tant qu’hospitaliers dans des situations difficiles, est qu’il y a une différence entre un drame quand nous avions eu les moyens suffisants et un drame quand les moyens manquent. Ce dernier cas est insupportable et la pression managériale décuple le risque car l’échec est sanctionné au lieu d’être étudié pour éviter des catastrophes à venir. Un exemple, les agents qui font des fiches de signalement d’événements indésirables (très utiles pour analyser les problématiques) se prennent des volées de bois vert par la hiérarchie, on marche sur la tête.

4-La revendication des syndicats demandant la démission des 3 directeurs qui ont profité de l’interruption de séance pour fouiller dans les affaires des élus et photographier des documents en dit long sur les méthodes de ces personnes pour arriver à leur fin. Vous ne transigerez pas sur cette revendication ?

Bien évidemment, si aucune sanction n’est prise ou qu’ils n’ont pas la décence de démissionner, cela voudra dire que n’importe qui peut impunément espionner les représentants élus du personnel. Ceci n’est pas négociable, d’autant que nous avons appris que pour les services à qui ils refusent du personnel supplémentaire, les demandes de fonds supplémentaires n’ont pas été faites à l’Agence Régionale de Santé alors que des fonds sont disponibles, méchants et incompétents… Je ne vois pas leur utilité aujourd’hui. De toute façon , l’hôpital d’aujourd’hui transforme ses organigrammes et fait gonfler le nombre de cadres et directeurs alors que les agents auprès des malades, dans les services techniques et dans l’administration manquent cruellement. Nous ne retournerons pas dans des instances tant que des sanctions ne seront pas prises et que les revendications du personnel ne seront pas satisfaites. Cela s’articule avec un mouvement national pour la suppression de la tarification à l’activité (promise par Hollande !!!) et la loi santé qui prépare la privatisation totale des hôpitaux et de la protection sociale sous couvert d’avancée comme le tiers payant généralisé. Pour revenir sur les attaques envers les syndicalistes, la liste est longue : Nous avons plusieurs cas de discrimination syndicale au tribunal, des locaux manquants ou loin de tout, le précédent DG a voulu supprimer des membres CHSCT sur le site de Purpan (8000 agents), heureusement nous avons gagné mais les expertises CHSCT sont systématiquement contestées au TGI, nous gagnons la majorité du temps mais cela coûte une somme folle à l’Hôpital, les instances sont bafouées et perdent de leur sens. Les médecins du travail sont aussi sous pression dès qu’ils font correctement leur travail. L’inspecteur du travail est intervenu très fréquemment et notamment pour recadrer le CHU de Toulouse qui ne respectait pas ses obligations concernant l’amiante, cela a coûté au CHU 7 à 8 millions d’euros… La liste est longue.

5-Cette affaire est connue La Dépêche du Midi en a parlé plusieurs fois, les réseaux sociaux s’en sont emparé…peut-on aller plus loin, par exemple une pétition pour exiger la démission de cadres qui pourraient employer des formules similaires à l’encontre de malades, et de cadres qui utilisent à l’encontre des syndicats des méthodes de voyous ?

Pourquoi pas, mais je pense que l’enjeu est le respect de la participation des agents à la détermination de leurs conditions de travail et aux conditions de soins. Seuls nous les hospitaliers, au travers des représentants du personnel ou pas, pouvons savoir comment faire un bon travail, comment s’adapter aux besoins de la population, c’est à la direction de nous obéir. C’est cela que montre cette affaire, donc ce que nous allons faire est nous battre en priorité pour la satisfaction des revendications des agents des services en lutte, nous savons qu’il faut en urgence 1000 ETP de fonctionnaires supplémentaires au CHU de Toulouse, nous devons faire retirer le plan AVENIR proposé par le directeur général qui va privatiser les fonctions « supports », atteindre les droits des hospitaliers (notamment des horaires et des repos façon El Khomri…) aggraver encore la qualité de prise en charge. C’est un enjeu pour toute la population toulousaine et un enjeu national car le gouvernement veut supprimer 22.000 postes d’hospitaliers et 16.000 lits cette année. Le pacte de responsabilité a coupé cette année 50 milliard d’euros au budget de la sécu celui là même qui paye les hospitaliers, avec cet argent nous aurions pu créer 700.000 postes de fonctionnaires… Ceci est un choix purement idéologique, les moyens ne manquent pas. Nous savons que par la convergence des luttes nous pouvons inverser la tendance… Ils vont nous opposer le fameux « déficit public », tout le monde sait qu’embaucher ou payer des fonctionnaires est une richesse et pas une « dépense » ou une « charge » et bien soigner la population n’a, évidemment, pas de prix. Voir http://cgtchutoulouse.fr/2016/04/16/le-chu-affiche-40-millions-deuros-de-deficit-est-ce-si-grave/

Propos recueillis par l’Université Populaire de Toulouse