Barème "Macron" des indemnités de licenciement : Plusieurs Conseils des prud’hommes jugent ce barème inconventionnel au regard du droit européen et international

30 janvier 2019

Plusieurs jugements de conseils de prud’hommes, à Troyes, Amiens, Lyon et Grenoble se sont prononcés en décembre 2018 et en début d’année 2019 en décidant d’écarter l’application du barème d’indemnisation des salariés, instauré par ordonnance en septembre 2017, en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Pour les juges de première instance, ce barème de licenciement des indemnités prud’homales, prévu par l’article L. 1235-3 du code du travail n’est pas conforme au regard du droit européen et international.

- Jugement N°18/00036 du Conseil de Prud’hommes de Troyes du 13 décembre 2018

Le CPH de Troyes indique dans son jugement que le barème de plafonnement des indemnités prud’homales, instauré par l’ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017, au regard du droit européen et international, viole la Charte Sociale européenne et la Convention n° 158 de l’OIT.

Pour le CPH, les barèmes prévus à l’article L. 1235-3 du Code du travail sont donc inconventionnels.

Cet article précise, depuis l’ordonnance n°2017-1387 du 22 sept.2017, art.2, que : « Si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge [...] octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés » dans des tableaux en fonction de l’ancienneté du salarié et de la taille de l’entreprise, et pouvant aller jusqu’à 20 mois maximum.

Toutefois, ce plafonnement limitatif des indemnités prud’homales ne permet pas aux juges d’apprécier les situations individuelles des salariés injustement licenciés dans leur globalité et de réparer de manière juste le préjudice qu’ils ont subi.

Le CPH de Troyes ajoute que ces barèmes ne permettent pas d’être dissuasifs pour les employeurs qui souhaiteraient licencier sans cause réelle et sérieuse un salarié et, puisqu’ils sécurisent davantage les fautifs que les victimes, ils sont inéquitables.

En conséquence, le CPH considère que l’instauration d’un barème viole la Charte Sociale européenne et la Convention n° 158 de l’OIT, et que les barèmes prévus à l’article L. 1235-3 du Code du travail sont donc inconventionnels.

Pour mémoire, l’article 10 de la convention OIT n° 158 prévoit que : « si [les juges] arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, […] ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée ». L’article 24 de la Charte sociale européenne prévoit que : « en vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les parties s’engagent à reconnaître le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée ».

- Jugement N°18/00040 du Conseil de Prud’hommes d’Amiens du 19 décembre 2018

Le CPH d’Amiens a jugé, de la même manière, que le plafonnement des indemnités prud’homales versées à un salarié licencié sans cause réelle et sérieuse était contraire au droit international et à la convention 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT).

Ces dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail prévoyant des plafonds d’indemnités versées pour licenciement abusif en fonction de l’ancienneté du salarié ne fixent pas une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée.

- Jugement N°18/01238 du Conseil de Prud’hommes de Lyon du 21 décembre 2018

Dans son jugement qui concernait une salariée de l’ADAPEI 69, le CPH de Lyon, a aussi écarté l’application du barème d’indemnités prévu par l’article L. 1235-3 du code du travail en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Il est indiqué que l’indemnisation du salarié doit être évaluée à la hauteur de son préjudice conformément à l’article 24 de la Charte sociale européenne, qui prévoit le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée.

Nous n’avons pas connaissance d’appel de ces jugements mais ils montrent un sérieux revers juridique pour le gouvernement qui avait choisi de plafonner les indemnités des salariés licenciés sans cause réelle et sérieuse.

- Dernière minute !!! - Le CPH de Grenoble écarte aussi l’application du barème "Macron"

Un dernier jugement N°18-00989 du Conseil de Prud’hommes de Grenoble du 18 janvier 2019 s’est prononcé dans le même sens. Il a été jugé qu’en réduisant l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse par des plafonds trop bas, c’est bien la sanction de la violation de la loi qui perd son effet dissuasif à l’égard des employeurs qui peuvent "budgéter leur faute".

Ce barème ne permet pas au Juge de tenir compte de l’ensemble des éléments de situations du salarié qui alimentent ses préjudices financiers, professionnels et moraux.

L’instauration du plafonnement des indemnités a un effet pervers consistant à faire perdre son effet dissuasif à l’égard des employeurs qui peuvent budgéter leur faute, permettant, même, une incitation à prononcer des licenciements injustifiés s’ils ont été provisionnés.

Ainsi, ce barème est inconventionnel en ce qu’il viole les dispositions de l’article 24 de la Charte sociale européenne, les articles 4 et 10 de la convention n°158 de l’OIT, et le droit au procès équitable.

Commentaires sur les jugements

En vertu du principe de légalité, chaque norme juridique doit se conformer à l’ensemble des règles en vigueur ayant une force supérieure dans la hiérarchie des normes, ou du moins être compatible avec ces normes.

Or l’article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958 indique que : « Les Traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois […]  »

Si le Conseil constitutionnel est compétent pour contrôler la conformité des lois à la Constitution, il s’agit du contrôle de constitutionnalité, le contrôle de la conformité des lois par rapport aux conventions internationales, il s’agit du contrôle de conventionnalité, appartient en revanche aux juridictions ordinaires sous le contrôle de la Cour de cassation et du Conseil d’Etat.

La Cour de cassation, puis le Conseil d’Etat, se sont reconnus compétents pour procéder à ce contrôle de conventionnalité. Ce contrôle peut donc conduire, lors de l’examen d’un litige, à écarter la loi française pour faire prévaloir la convention internationale dans la résolution du litige.

Que disent donc ces textes internationaux ratifiés par la France et abondamment cités ?

L’article forme de réparation considérée comme appropriée en cas de licenciement injustifié.

Le Conseil d’État a jugé que les dispositions de l’article 24 de la charte sociale européenne sont directement invocables devant lui. Pour rappel, la charte sociale européenne est un traité du Conseil de l’Europe adoptée en Turin en 1961, qui garantit les droits sociaux et économiques fondamentaux. Elle est le pendant social de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, qui se réfère aux droits civils et politiques. Elle est dès lors considérée comme la Constitution sociale de l’Europe.

Le Comité Européen des Droits Sociaux, organe en charge de l’interprétation de la charte, s’est prononcé sur le sens devant être donné à l’indemnité adéquate et à la réparation appropriée dans sa décision du 8 septembre 2016. Il a ainsi jugé que la loi finlandaise qui fixait un plafond de 24 mois d’indemnisation était contraire à la charte, selon les termes suivants : « dans certains cas de licenciement abusif, l’octroi d’une indemnisation à hauteur de 24 mois prévue par la loi relative au contrat de travail peut ne pas suffire pour compenser les pertes et le préjudice subis. Le Comité considère que le plafonnement de l’indemnisation prévue par la loi relative au contrat de travail peut laisser subsister des situations dans lesquelles l’indemnisation accordée ne couvre pas le préjudice subi ».

Le Comité énonce que « les mécanismes d’indemnisation sont réputés appropriés lorsqu’ils prévoient :

  • le remboursement des pertes financières subies entre la date du licenciement et la décision de l’organe de recours ;
  • la possibilité de réintégration ;
  • des indemnités d’un montant suffisamment élevé pour dissuader l’employeur et pour compenser le préjudice subi par la victime.

En conséquence, tout plafonnement conduisant à ce que les indemnités octroyées ne soient pas en rapport avec le préjudice subi et ne soient pas suffisamment dissuasives est donc contraire à la charte.

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