Barème Macron : Le Comité européen des droits sociaux le juge contraire à la Charte sociale européenne 

1er février 2023

Dans une décision datée du 5 juillet 2022, rendue publique le 30 novembre dernier, le Comité européen des droits sociaux, organe du Conseil de l’Europe chargé de veiller à l’application de la Charte sociale européenne, a retenu que le barème des indemnités pour licenciements sans cause réelle et sérieuse prévu à L.1234-5 du code du travail était contraire à l’article 24, b) de la Charte.

Le Flash Info LDAJ est disponible en pièce-jointe.

La solution n’est pas inédite car, à deux reprises, le CEDS avait statué en faveur d’une non-conformité à la Charte (Décisions du 23/3/2022 CGT-FO c. France, n°160/2018, et CGT c. France, n°171/2018). Mais c’était la première fois que le Comité avait à se prononcer sur cette question depuis l’arrêt de la Cour de cassation du 11 mai 2022, qui avait dénié à la Charte tout effet direct en droit interne dans les litiges entre particuliers.

Le constat de cette violation est symboliquement fort mais ses effets sur le droit des salariés licenciés sans motif sont incertains. D’autres fondements juridiques sont envisageables pour écarter le barème.

Une solution réaffirmée : le barème est contraire à l’article 24 de la Charte sociale européenne

Le Comité réaffirme sa position en indiquant le barème prévu à l’article L.1234-5 du code du travail ne respecte pas l’article 24 de la Charte sociale européenne et ce, pour plusieurs raisons.

a) Le barème n’est pas suffisamment dissuasif pour l’employeur


En premier lieu, le Comité estime que les indemnités fixées par le barème ne sont pas suffisamment élevées et dissuasives pour l’employeur. L’objectif de « prévisibilité » du barème pourrait en réalité inciter l’employeur à licencier sans motif valable les salariés en lui permettant d’anticiper le coût d’une violation de la loi. Dans certaines situations, cela pourrait encourager les licenciements illégaux. 

b) Le barème ne permet pas toujours d’indemniser l’entier préjudice

En deuxième lieu, le Comité retient que le barème ne permet pas toujours d’indemniser le préjudice subi par le salarié du fait de la perte injustifiée de son emploi.
Ainsi le barème n’offre pas au juge une marge d’appréciation suffisante pour prendre en compte les circonstances du licenciement : « le juge ne dispose que d’une marge de manœuvre étroite dans l’examen des circonstances individuelles des licenciements injustifiés. Pour cette raison, le préjudice réel subi par le salarié en question lié aux circonstances individuelles de l’affaire peut être négligé et, par conséquent, ne pas être réparé.

c) Pas de voie alternative au barème pour obtenir réparation

En troisième lieu, le Comité a considéré qu’il n’existait pas de voie alternative au barème pour obtenir réparation du préjudice, sauf certains cas spécifiques, tel que la violation d’une liberté fondamentale (licenciement nul).

Pour conclure, le Comité indique que « le droit à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée au sens de l’article 24.b de la Charte n’est pas garanti. Par conséquent, le Comité dit qu’il y a violation de l’article 24.b de la Charte. »

Une violation aux conséquences incertaines

Les conséquences de cette violation sont toutefois incertaines en raison de l’absence d’effet direct de l’article 24 de la Charte dans les litiges entre particuliers, selon la Cour de cassation.

L’absence d’effet direct de la Charte dans les litiges entre particuliers

Dans un avis rendu le 17 juillet 2019, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a estimé que « les dispositions de l’article 24 de la Charte sociale européenne révisée ne sont pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers ». Le 11 mai 2022, la chambre sociale de la Cour de cassation a jugé dans le même sens que « les dispositions de la Charte sociale européenne n’étant pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers, l’invocation de son article 24 ne pouvait pas conduire à écarter l’application des dispositions de l’ article L. 1235-3 du code du travail ». (Cass. soc. 11 mai 2022, n° 21-15.247)

Par un arrêt rendu le 10 février 2014, le Conseil d’Etat s’était prononcé dans le sens contraire en estimant que l’article 24 b) de la Charte sociale européenne n’avait pas pour objet « de régir exclusivement les relations entre les Etats » et ne requérait « l’intervention d’aucun acte complémentaire pour produire des effets à l’égard des particuliers ». (CE, 10 février 2014, n°358992).

Néanmoins, devant le juge judiciaire, la jurisprudence est désormais claire : cette Charte n’est pas invocable par des salariés dans un litige contre leur employeur pour écarter le barème "Macron".

Une loi inconventionnelle peut engager la responsabilité de l’Etat

Si la Charte sociale européenne n’est pas invocable dans les litiges entre particuliers, le constat de sa violation pourrait mettre en jeu la responsabilité de l’Etat.

En effet, dans un arrêt « Gardedieu », le Conseil d’Etat a jugé que « la responsabilité de l’Etat du fait des lois est susceptible d’être engagée (…) en raison des obligations qui sont les siennes pour assurer le respect des conventions internationales par les autorités publiques, pour réparer l’ensemble des préjudices qui résultent de l’intervention d’une loi adoptée en méconnaissance des engagements internationaux de la France ». (Conseil d’Etat, Assemblée, 8 février 2007, Gardedieu N° 279522)

Un salarié licencié sans cause réelle et sérieuse qui n’aurait pas été complètement indemnisé de son préjudice par le barème de l’article L.1235-3 du code du travail pourrait engager la responsabilité de l’Etat sur le fondement d’une violation de la Charte sociale européenne.
Si le Conseil d’Etat maintient sa jurisprudence reconnaissant un effet direct à l’article 24 de la Charte sociale européenne, malgré la solution de la Cour de Cassation, un salarié pourrait obtenir réparation de la violation de cette Charte par le barème Macron devant le juge administratif. Pour ce faire, il devra démontrer qu’il n’existe aucune voie légale en droit français pour obtenir une réparation adéquate de son licenciement injustifié. Cette possibilité d’action n’est pas confirmée en l’état actuel de la jurisprudence. »

D’autres fondements juridiques possibles pour écarter le barème

Parallèlement, d’autres fondements juridiques sont envisageables pour contester l’application des barèmes.

a) L’article 10 de la convention OIT n°158

L’article 10 de la convention n°158 de l’organisation internationale du travail exige « une réparation adéquate » des licenciements injustifiés. A la différence de la Charte sociale européenne, la Cour de cassation a reconnu l’effet direct de cette convention dans les litiges entre particuliers (Cass. Soc. 11 mai 2022, n°21-14.490).

L’indemnité adéquate poursuit deux finalités très proches de l’article 24 de la Charte sociale européenne : elle « sert à indemniser la perte injustifiée de l’emploi et doit être à ce titre adéquate, c’est-à-dire suffisamment dissuasif pour éviter le licenciement injustifié. 

Même si dans son arrêt du 11 mai 2022, la Cour de cassation a estimé que le barème Macron était conforme à la Convention n°158, cette jurisprudence suscite toujours une résistance de certains juges du fond, qui écartent le barème lorsque, au regard des circonstances de l’espèce, la réparation prévue est manifestement insuffisante pour réparer le préjudice subi par le salarié et dissuader l’employeur de licencier sans motif.

Ainsi, par un arrêt rendu le 21 octobre 2022, la Cour d’appel de Douai a estimé, au regard de la Convention n°158 de l’OIT, « qu’il n’est pas démontré que le barème, dans certains cas particuliers, et donc dans le cadre d’une analyse in concreto, puisse assurer, dans tous les cas, une protection suffisante des personnes injustement licenciées et donc que le barème permet une réparation adéquate du préjudice subi ».

Par suite, le plafond prévu à l’article L.1235-3 du code du travail « ne répond manifestement pas au principe de réparation « adéquate » du préjudice défini par les textes internationaux en ne prenant pas en compte l’ensemble des circonstances de la cause. »

Selon la Cour, « il est des cas comme en l’espèce, qui restent exceptionnels, dans lesquels l’indemnisation légalement prévue apparaît insuffisante eu égard aux charges de famille du salarié, et aux difficultés de retrouver un emploi après un licenciement pour impossibilité de reclassement après un avis d’aptitude à un poste technique par le médecin du travail avec de fortes restrictions. »

En conséquence, sur le fondement de l’article 10 de la Convention OIT n°158, la Cour d’appel de Douai a écarté le barème prévu par l’article L.1235-3 du code du travail.

Ainsi, dans les cas où le barème paraît nettement insuffisant pour réparer le préjudice subi, il est vivement conseillé de demander qu’il soit écarté en s’appuyant sur l’argumentaire du Syndicat des avocats de France (SAF) à disposition des salariés, défenseurs syndicaux et des avocat contre le plafonnement prévu à l’article L.1235-4 du Code du travail (Le Droit ouvrier, oct. 2022, p.438) .

b) Le licenciement nul

Dans le cadre des « alternatives » à l’application du barème Macron, il existe aussi les demandes de licenciement nul fondées sur la violation d’une liberté fondamentale, la discrimination, le harcèlement moral, le licenciement du salarié protégé en raison de son mandat, le licenciement de la salariée enceinte ou en raison d’un congé de maternité d’adoption, mais aussi le licenciement du salarié pendant son arrêt de travail pour accident du travail ou maladie professionnelle, hors cas de faute grave ou de force majeure.

Dans ces cas, il y a application de l’article L. 1235-3-1 du Code du travail avec une indemnité minimum de 6 mois de salaire à titre de dommages intérêts et de nouveau la possibilité offerte au juge d’évaluer le préjudice subi par le salarié licencié.

c) L’abus de droit : une alternative au licenciement sans cause réelle et sérieuse

L’abus de droit peut aussi être invoqué pour obtenir réparation de l’intégralité du préjudice lorsque la décision de licencier le salarié est grossièrement abusive. Avant la législation sur les licenciements sans cause réelle et sérieuse (loi n°73-680 du 13 juillet 1973), la jurisprudence sanctionnait les licenciements décidés de « mauvaise foi » ou justifiés par un « fallacieux prétexte ».

Ces licenciements abusifs donnaient lieu à réparation sur le fondement de l’article 1780 du code civil, toujours en vigueur, qui dispose : « la résiliation du contrat par la volonté d’un seul des contractants peut donner lieu à des dommages-intérêts. Pour la fixation de l’indemnité à allouer, le cas échéant, il est tenu compte des usages, de la nature des services engagés, du temps écoulé, des retenues opérées et des versements effectués en vue d’une pension de retraite, et, en général, de toutes les circonstances qui peuvent justifier l’existence et déterminer l’étendue du préjudice causé. »
Ce texte pourrait toujours être invoqué pour obtenir une réparation intégrale du préjudice – donc hors barème - lorsque le licenciement est abusif. (cf E. Dockès « Le licenciement abusif ou comment dépasser les barèmes Macron malgré les arrêts du 11 mai 2022 », Le Droit ouvrier, sept. 2022, p.349), et il a déjà trouvé un écho dans la jurisprudence.

Des juges du fond ont déjà rendu des décisions en ce sens :

  • Jugement du 16 mai 2022 du Conseil de prud’hommes de Clermont-Ferrand (CPH Clermont-Ferrand, 16 mai 2022, n°F20/00340, Mme B. c/ SARL Coup de pouce) ;
  • Cour d’appel de Riom rendu le 22 novembre 2022 (CA Riom, 22 novembre 2022, n°20/00479, demande jugée recevable mais infondée en l’espèce)

Ainsi, entre licenciement sans cause réelle et sérieuse et licenciement nul, une troisième voie, le licenciement abusif, non soumise au barème, peut donc être envisagée pour obtenir la réparation intégrale du préjudice né de la rupture.

© Le secteur LDAJ de la Fédération CGT Santé Action Sociale - Janvier 2023